Livestock Research for Rural Development 27 (5) 2015 | Guide for preparation of papers | LRRD Newsletter | Citation of this paper |
De nombreux fromages artisanaux sont fabriqués en Algérie, parmi eux le fromage traditionnel dénommé klila. Afin de situer ce fromage dans la société, une enquête a été menée auprès de 200 personnes dans des milieux urbains et ruraux de l’Est de l’Algérie. En parallèle, des analyses microbiologiques et des tests physicochimiques ont été réalisés sur huit échantillons. Le klila est un fromage frais ou extra-dur (granulés à 7,0-9,1% d’eau) obtenu en desséchant du caillé de lait de vache, de brebis, ou de mélange par chauffage, découpage et exposition au soleil.
Les résultats de l’enquête ont montré que le produit est connu par 63% des personnes, fabriqué, conservé et consommé, aussi bien dans le milieu rural qu’urbain. Les analyses réalisées ont montré une qualité hygiénique très satisfaisante de ce fromage traditionnel sous sa forme déshydratée.
Mots clés: acidité, déshydraté, lait, flore
Many artisanal cheeses are manufactured in Algeria, among them the traditional cheese called klila. In order to locate this cheese in the society, an investigation was conducted near 200 people in urban environments and rural of the East of Algeria. In parallel, microbiological analyses and physico-chemical tests were carried out on eight samples. The klila is a fresh or hardened cheese (pellets with 7,0-9,1% of water) obtained by desiccating cow's milk curd, ewe, or of mixture by heating, cutting and exposure to the sun.
The results of the investigation showed that the product is known by 63% of the people, is manufactured, preserved and consumed, as well in rural environment as urban. The analyses carried out showed a very satisfactory hygienic quality of this traditional cheese in its dehydrated form.
Key words: acidity, dehydrated, flora, milk
Malgré l'importance du secteur laitier dans la région d’étude, les laiteries industrielles et traditionnelles sont encore en nombre insuffisant et souffrent de manque d’expertise. La production journalière est inférieure aux besoins pour la plupart de ces entreprises et le niveau d’hygiène et de sécurité alimentaire des produits finaux restent à découvrir. L’autoconsommation du lait et de ses dérivés reste importante au niveau familial et s’articule sur des méthodes de transformation et de conservation traditionnelles pour la majorité. Des études limitées, réalisées sur les dérivés laitiers traditionnels et sur le secteur laitier en général, indiquent que ce secteur a besoin d'appui pour son développement et l’augmentation de sa compétitivité sur le marché. Au moment où l’on s’intéresse à certifier les produits du terroir, l'application des principes de base des bonnes pratiques d’hygiène et de fabrication paraît actuellement indispensable pour la relance et la survie de ces produits à long terme.
Dans la plupart des pays africains, il y a une augmentation considérable de la demande en protéines animales. Les principaux facteurs de cette augmentation sont la croissance démographique, l’urbanisation envahissante, l’accroissement des revenus et la modification des habitudes alimentaires (Amellal 1995). Le lait des ruminants domestiques constitue l’une des sources de protéines la plus accessible. Il joue un rôle important non seulement sur le plan nutritionnel, mais également sur le plan économique et socio- culturel (Kaci et Sassi 2007).
Dans les villages et les agglomérations rurales, les éleveurs produisent du lait en abondance pendant les périodes de haute lactation. Faute de moyens de conservation, ils se trouvent parfois obligés de jeter l’excès de lait. Pour l’éviter, étant donné que celui-ci est une denrée rapidement périssable, l’essentiel de la production doit être transformé. La méthode de conservation la plus simple est de le transformer en fromage (Bellakhdar 2008). Le lait est riche en protéines de bonne qualité, en calcium et en vitamines ; c’est un aliment de haute qualité nutritionnelle.
Les aliments traditionnels font partie du patrimoine socio- culturel de chaque peuple. Chaque jour, nous vivons des recettes, jadis initiées par nos ancêtres, entourées d’un savoir faire immémorial et transmises d’une génération à une autre (Duval 1855 ; Denis 1989). Parmi ces aliments, les fromages traditionnels constituent à la fois un bien culturel et une ressource économique, d’où l’intérêt de l’étude et la caractérisation de leurs composantes naturelles afin de préserver leur typicité et leur diversité sensorielle.
De nombreuses variétés de fromages sont connues dans le monde entier. Le fromage a été fabriqué par l’homme pendant des siècles à l’aide de procédures traditionnelles. La transformation du lait en produits dérivés, comme les fromages, a été depuis longtemps un moyen traditionnel de conservation (Arvanitoyannis 2009).
En Algérie, depuis l’antiquité le fromage traditionnel Klila est fabriqué et consommé sous différentes formes (Duval 1855). Si ces procédés sont à l’origine intuitifs, leurs bases scientifiques sont peu ou pas connues. Les caractéristiques alimentaires et nutritionnelles de ce fromage, suite aux procédés technologiques traditionnels, suscitent de l’intérêt.
Il faut noter que des fromages similaires à Klila tel que le Jameed au Moyen-Orient et le Chhana en Inde sont bien caractérisés (Tamime et O’Connor, 1995), et ils sont produits à l’échelle industrielle en procédés continus, utilisant les nouvelles technologies comme l’atomisation et la lyophilisation. Par contre, pratiquement aucune étude n’a été axée sur le fromage Klila, et il n'y a que peu de données sur ces caractéristiques biochimiques et microbiologiques et sur ses techniques de fabrication.
La caractérisation des produits laitiers locaux doit être réalisée afin de les décrire, de les analyser et de s'assurer qu’ils sont sains et conformes aux normes internationales. Cette étude vise d’une part, la détermination de la place socio économique du dérivé laitier klila fabriqué à l’aide de méthodes traditionnelles locales dans différentes régions rurales et urbaines du pays, et d’autre part, sa caractérisation physico-chimique et microbiologique.
Afin de situer ce produit dans la société, nous avons mené une enquête auprès de 200 personnes de différentes tranches d’âge dans des milieux urbains (n = 100) et ruraux (n =100) de l’Est de l’Algérie, dans les régions de Guelma et de Souk-Ahras. Cette enquête a porté sur quatre zones, deux rurales (Ain Sannour et Medjaz-Sfa) et deux urbaines (Hammam n’Bails et Sedrata). La population ciblée se compose d’hommes et de femmes ; pour chaque catégorie nous avons retenu trois tranches d’âges, les moins de 35 ans, entre 35 et 60 ans et les plus de 60 ans.
Le questionnaire comporte deux sections ; la première regroupe des questions relatives à la connaissance du produit et son mode de fabrication ; la deuxième section regroupe des questions relatives à sa consommation.
Figure 1 : Positionnement géographique des sites d’échantillonnage [Source : Google Earth 2015]. |
La collecte des échantillons a été réalisée de manière aléatoire chez les éleveurs ou achetés du marché avec un prix variant entre 7,51€ et 11,27€ pour le kilogramme de Klila. Les sites d’échantillonnage sont présentés sur la Figure 1.
Nous avons réalisé des analyses microbiologiques et physicochimiques sur huit échantillons. Les analyses microbiologiques ont consisté dans la recherche de la Flore Mésophile Aérobie Totale (FMAT) sur milieu PCA (Plate counting agar), des coliformes sur bouillon lactosé bilié au vert brillant (BLVBL), des streptocoques sur bouillon Rothe et Eva Litskey et des levures et moisissures sur gélose Sabouraud au chloramphénicol. En parallèle nous avons réalisé des tests physicochimiques : pH, acidité titrable et extrait sec. Les milieux de culture utilisés ainsi que les conditions d’incubation sont décrits dans le tableau suivant (Guiraud, 2012):
Tableau 1. Milieux sélectifs et conditions d’incubation pour la recherche des germes indésirables dans le fromage traditionnel ‘Klila’ |
|||
Germes recherchés |
Milieu de culture utilisé |
Conditions d’incubation |
|
Température °C |
Temps |
||
FTAM |
PCA |
30 |
72 heures |
Entérobactéries |
BLBVB liquide |
37 |
24 à 48 heures |
Bouillon VBL + cloche de Durham Eau peptonée exempte d’indole |
44 |
24 heures |
|
Streptocoques fécaux |
Bouillon Rothe Bouillon Eva Litskey |
37 37 |
24 à 48 heures 24 heures |
Levures et moisissures |
Sabouraud au chloramphénicol |
30 |
5 jours |
Staphylocoques |
Gélose Chapman |
37 |
24 heures |
Salmonelles |
Eau peptonée tamponnée Bouillon sélénite cystine Gélose Hektöen Gélose SS |
37 37 et 43 37 37 |
16 à 20 heures 24 heures 24 heures 24 à 48 heures |
Les résultats ont été groupés par types de réponses de telle sorte à situer, d’une part, la culture, la connaissance et l’ancrage du produit par rapport au sexe et aux tranches d’âge dans la cellule familiale, d’autre part sa consommation et son mode de fabrication. Les résultats de l’enquête ont été traités avec le test du Khi-deux.
Les résultats de l’enquête ont montré que ce fromage est connu, fabriqué, conservé et consommé, aussi bien dans le milieu rural qu’urbain. Pour chaque paramètre, les taux les plus élevés ont été enregistrés en zones rurales par rapport aux zones urbaines et chez les anciens de plus de 60 ans, par rapport aux adultes et les jeunes de moins de 35 ans.
Sur les 200 personnes interrogées, dans les deux milieux : rural et urbain, 63% (126 personnes) connaissent le produit. Cette proportion montre que ce dérivé laitier est connu et fait partie du patrimoine culturel culinaire. Il est transmis dans la mémoire familiale en priorité d’après 82,53% des personnes (104 personnes) et particulièrement par les grands parents d’après 29,80% (31 personnes).
Tableau 2. Connaissance du ‘Klila’ |
||||
Question |
|
Milieu |
Reponses oui |
Proportion (%) |
Connaissance du fromage |
|
Rural |
71 |
56,34 |
Urbain |
55 |
43,65 |
||
Qui vous a fait connaître « Klila » |
Votre famille |
Rural |
52 |
71,24 |
Urbain |
21 |
28,76 |
||
Vos grands parents |
Rural |
15 |
48,38 |
|
Urbain |
16 |
51,62 |
||
Autres personnes |
Rural |
04 |
18,19 |
|
Urbain |
18 |
81,81 |
Dans l’ensemble 110 personnes l’ont consommé, surtout sous sa forme ‘fraîche’ 60,90% (67 personnes), mais aussi après conservation 39,09% (43 personnes). La fréquence de consommation est relativement remarquable, car 85,45% (94 personnes) l’ont consommé plus de 5 fois et parmi eux 42,55% (40 personnes) l’ont fait plus de 10 fois. Les femmes l’intègrent généralement sous sa forme conservée (séchée) à des plats cuisinés (Berkoukes, couscous) ou sous la forme fraîche à la pâte de pains cuits traditionnels tels que le M’laoui et le Kessra.
Sa consommation est nettement plus fréquente en milieu rural qu’en milieu urbain, sans doute en raison de la disponibilité de la matière première de fabrication.
Tableau 3. Forme et fréquence de consommation du ‘Klila’ |
||||
Question |
Milieu |
Reponses oui |
Proportion (%) |
|
Forme de consommation |
Fraîche |
Rural |
46 |
68,66 |
Urbain |
21 |
31 ,34 |
||
Conservée |
Rural |
16 |
37,20 |
|
Urbain |
27 |
62,80 |
||
Fréquence de consommation |
Moins de 5 fois |
Rural |
06 |
48,14 |
Urbain |
10 |
51,86 |
||
Entre 5 et 10 fois |
Rural |
42 |
77,36 |
|
Urbain |
12 |
22,64 |
||
Plus de 10 fois |
Rural |
26 |
65,00 |
|
Urbain |
14 |
35,00 |
Duval (1855) décrit le Klila comme étant le produit obtenu après caillage du lait ; le caillé est ensuite pressé légèrement ; il était consommé frais ou sec. Ce produit faisait l’objet de commerce au Sahara. Les tribus nomades le vendaient ou le troquaient sur les marchés de la région tellienne.
Dans son livre décrivant les nomades sahariens, Bellakhddar (2008) a décrit la diététique des voyageurs d’autrefois, en parlant des régimes alimentaires des nomades ; on retrouve l’usage d’aliments hypercaloriques, faciles à conserver, disponibles et occupant de faibles volumes pour réduire l’encombrement des marcheurs et des cavaliers. Il définissait le Klila comme étant un fromage durci obtenu en déshydratant complètement le caillé obtenu après chauffage modéré du lait acidulé. Ce procédé a été décrit aussi par Arvanitoyannis (2009) ; le lait caillé est baratté pour obtenir une boisson acide : le Lben qui subit un traitement thermique modéré pour obtenir le Klila fraîs.
Lors de la réalisation de l’enquête, nous avons collecté des informations concernant le procédé de fabrication de ce fromage traditionnel, et dans l’ensemble, le procédé de fabrication est le même dans toutes les zones de l’enquête. Nous avons résumé les principales dans un diagramme (figure 2). La fabrication de fromage donne aussi 2 sous-produits, le beurre et le lactosérum.
Figure 2. Diagramme de fabrication du fromage traditionnel ‘Klila’ |
Les échantillons collectés ont été fabriqué à partir de lait d’espèces différentes (vache, brebis ou chèvre) ou de lait de mélange (Tableau 4).
Tableau 4. Origines des échantillons du fromage ‘Klila’ étudiés |
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Échantillons |
Provenance |
Type du lait utilisé |
G24-A |
HammanD’Bagh (Guelma) |
vache |
M04-A |
Oum El Bouaghi |
brebis |
M04-B |
Meskiana (Oum El Bouaghi) |
brebis |
M04-C |
Ferme Rehia (Oum El Bouaghi) |
brebis + chèvre |
S41-A |
Sedrata (Souk Ahras) |
vache |
B05-A |
Arriss (Batna) |
vache |
K40-A |
Baghay (Khenchela) |
vache |
G24-B |
Tamlouka (Guelma) |
vache |
Dans la région d’étude,Klila est conservé généralement dans des bocaux en verre, sauf chez certaines familles où la conservation de ce fromage se fait dans des sacs en tulle préparés spécialement pour cet usage. Dans les zones rurales des wilayates de Guelma, Souk Ahras et Oum El Bouaghi, les femmes le conservent dans des sacs en peau de chèvre appelés « Mezwed ».
Les échantillons de Klila déshydratés présentent un aspect granulaire dont la forme des particules est irrégulière. La taille est très variable allant de quelques millimètres à plusieurs centimètres.
La couleur des particules de Klila diffère aussi selon leur provenance, ce qui peut être dû à la durée de conservation ou au procédé de fabrication lui-même (Figure 3).
G24-A | M04-A | M04-B | M04-C |
S41-A | B05-A | K40-A | G24-B |
Figure 3. Aspects et couleurs des différents échantillons étudiés de ‘Klila’ |
Les analyses microbiologiques ont montré une qualité hygiénique très satisfaisante du fromage Klila desséché, justifiée par l’absence totale des coliformes et des streptocoques fécaux ainsi que des salmonelles et des staphylocoques.
En ce qui concerne la recherche et le dénombrement de la flore mésophile aérobie totale, nous avons obtenu une gamme de colonies de tailles variables (petites, moyennes) de couleurs différentes (blanches, jaunes, transparentes), et de forme circulaire ou lenticulaire. Le dénombrement de la flore totale aérobie mésophile est donné dans le Tableau 5.
Les valeurs du dénombrement de la flore mésophile aérobie totale n’ont pas dépassé 9,80 x 103 (UFC/g) ; ceci peut être justifié par le chauffage modéré appliqué au Lben pour la séparation du lactosérum.
Selon sa teneur en eau de 7,0 à 9,1%, le Klila constitue un fromage à pâte extra-dure très riche en matière sèche (91,5%). Il présente un pH de 4,6 environ ce qui constitue une véritable protection contre les altérations dues aux microorganismes indésirables (Tableau 5).
Tableau 5. Résultats des paramètres physico-chimiques et microbiologiques mesurés |
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Échantillon |
Matière sèche (%) |
Taux d’humidité (%) |
Ph |
Acidité titrable |
Dénombrement (FTAM) |
G24-A |
91,21 |
8,79 |
4,48 |
25 |
1,39 x 103 |
M04-A |
91,43 |
8,57 |
4,35 |
46,3 |
1,12 x 103 |
M04-B |
93,03 |
6,97 |
4,99 |
38 |
3,37 x 103 |
M04-C |
90,87 |
9,13 |
4,57 |
43 |
1,30 x 103 |
S41-A |
91,64 |
8,36 |
4,55 |
54 |
1,03 x 103 |
B05-A |
91,43 |
8,57 |
4,66 |
/ |
6,70 x 103 |
K40-A |
91,41 |
8,59 |
4,65 |
24,3 |
8,10 x 103 |
G24-B |
90,98 |
9,02 |
4,52 |
38,6 |
9,80 x 103 |
Amellal R 1995. La filière lait en Algérie: entre l'objectif de la sécurité alimentaire et la réalité de la dépendance. CIHEAM - Options Méditerranéennes, Série B, 14 :230-238. http://ressources.ciheam.org/om/pdf/b14/CI960052.pdf
Bellakhdar J 2008. Hommes et plantes au Maghreb: éléments pour une méthode en ethnobotanique. Maroc. Plurimondes. 386 p.
Denis P 1989. Les derniers nomades. L'Harmattan. 631 p.
Duval J 1855. Ministère de la guerre-Direction des affaires de l’Algérie: Catalogue explicatif et raisonné des produits Algériens (guide pour l’exposition permanente de l’Algérie Rue de Grenelle Saint-Germain, 107). Librairie de Firmin Didot Frères, imprimeurs de l’Institut. Paris, Rue Jakob, 56.
Guiraud J P 2012. Microbiologie alimentaire. Dunod . 651p. Paris.
Arvanitoyannis Ioannis S 2009. HACCP and ISO 22000: Applications to Foods of Animal Origin. First edition United Kingdom. http://www.bogmisailac.org/web_documents/haccp_and_iso_22000_application_to_foods_of_animal_origin_-__arvanitoyannis_-_2009.pdf
Kaci M et Sassi Y 2007. Industrie laitière et des corps gras, Recueil des fiches sous sectorielles. ED Pme, 44 p. http://fr.scribd.com/doc/246029157/Industries-Laitieres-Et-Des-Corps-Gras#scribd
Tamime A Y and O’Connor T P 1995. Kishk: A Dried Fermented Milk/Cereal Mixture. Elsevier Science Limited. International Dairy Journal 5 109-128. Printed in Ireland.
Received 5 February 2015; Accepted 10 April 2015; Published 1 May 2015